Berlin
Quand on passe les hautes grilles du LAGeSo (le bureau fédéral de la Santé et des Affaires Sociales), un long chemin goudronné se déroule sous nos pieds et nous guide droit vers des groupes d'hommes, de femmes et d'enfants assis dans l'herbe, debout à discuter ou en groupe dense à attendre.
Attendre que leur numéro s'affiche sur l'écran lumineux. Attendre anxieusement que leur tour arrive. Qu'un.e employé.e de l'administration les reçoive et leur pose les dizaines de questions règlementaires, parmi lesquelles : De quelle nationalité êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous venus en Allemagne ? Comment êtes-vous venus ? Avec qui ? Quels pays avez-vous traversés ? Que comptez-vous faire en Allemagne ? Y avez-vous de la famille ? Avez-vous un travail ?
Chaque famille et chaque personne seule passe par plusieurs entretiens de la sorte avant de connaître le sort qui leur sera réservé : avoir temporairement le droit de rester à Berlin ; le droit de rester mais ailleurs en Allemagne ; l'interdiction de rester en Allemagne.
En attendant ces entretiens, tous ces hommes, femmes et enfants attendent au sein des jardins de l'administration où tout un système d'aide s'est mis en place au travers d'associations caritatives et leurs nombreux bénévoles. Café, thé, vêtements, soins, discussions, jeux, sont parmi les principaux pansements posés sur les plaies humaines.
Lorsque la journée se termine, les groupes glissent doucement vers la sortie et les grilles se referment jusqu'au lendemain matin, huit heures. Tous ces hommes, femmes, enfants, papis, mamies, dormiront ici, dans la rue. Tandis que les enfants, les femmes et les plus âgés vont trouver refuge sous les arbres du grand parc voisin ou sur les bancs, les hommes restent aux pieds des grilles, formant une file accroupie d'espoirs recroquevillés le long du mur d'enceinte. Ils passeront la nuit entière sur le trottoir pour ne pas perdre leur place et pouvoir, au jour suivant, gagner les meilleures emplacements dans les jardins pour de nouveau attendre tout le jour. Ce manège se répète inlassablement et j'en suis le témoin. Témoin déboussolé, je dois bien l'admettre.
Cette suite d'images n'est pas à proprement parler une série, ni uniquement des entretiens. C'est un peu des deux, de l'envie de comprendre, de discuter avec ces égarés, de tâter le pouls de l'espoir, de mettre des visages sur des statistiques, des histoires personnelles sur des propos médiatiques succins, de la vie sur de la peur.